Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

UNIVERS LIVRES - Page 7

  • Anne Walter, Les relations d’incertitude, Actes-Sud 1987

    Tu ne saurais dire exactement pourquoi, la lecture du Commentaire de Marcelle Sauvageot t’a rappelé un autre tout petit livre, lui aussi magnifique, lui aussi écrit par une femme : Les relations d’incertitude de Anne Walter. Pourtant, rien, vraiment rien à voir : parole douloureuse d’un amour blessé dans la clairvoyance d’un être que la vie abandonne d’une part ; récit sulfureux d’une étrange liaison entre un peintre et son modèle d’autre part.

    walter.JPGAlors d’où vient cette association ? Quelle souterraine parenté réunit à tes yeux ces deux textes si apparemment loin l’un de l’autre ? Est-ce seulement d’être brefs et écrits d’une encre, pour des raisons distinctes, à la fois brûlante et glacée ? Cette langue ascétique qui dit tout en peu de mots ? Cette franchise du texte où n’entre nulle complaisance et nulle culpabilité ? Ou, plutôt, textes dans lesquelles l’aveu des souffrances et des plaisirs assaille le lecteur sans qu’on l’y ait préparé, l’obligeant à une même et symétrique franchise à l’égard de lui-même ?

    La narratrice d’Anne Walter rencontre, par l’intermédiaire de son cousin Théo, mystérieux érudit bouquiniste avec qui elle cohabite, Volodia, un peintre qui la fait poser pour ses Femmes à la toilette ou sa Jeune fille au corset. Très vite la tenue des poses exige, comme par une simple prescription technique, l’introduction d’objets dans le sexe du modèle ou l’enfermement de son corps dans d’asphyxiants corsets, comme si la beauté de l’image devait résulter des tourments infligés au corps. « Cet air un peu meurtri vous va bien » dit seulement le peintre. Puis, avec la même évidence, le peintre livre la jeune femme aux désirs d’hommes convoqués exprès, brutaux, laids, expéditifs.

    Attachée, battue, violée, la jeune fille doute d’elle-même : « Victime ou complice ? N’ai-je pas aimé la secrète volupté ? » se demande-t-elle. De jour en jour, sans réelle contrainte, elle revient à l’atelier, au supplice, dont les raffinements ou les excès la mettent en péril. Volodia, présent, ne la touche pas, mais il lui tient la main, sans compassion, pendant qu’elle est violée, déchirée, transpercée.

    La formule de cette passion, la narratrice la découvrira, non pas chez Sade, comme on s’y serait attendu, mais chez Fénelon, dans la théorie du pur amour : « On se livre toute, on est piétinée, rompue. On est dévorée de zèle, on défaille, on s’humilie, on craint le courroux du Maître et son indifférence nous ferait périr. ». Texte étrangement paisible, Les relations d’incertitude transmet au lecteur le mystère de ces amours terribles et magnifiques. On pense à Balthus, bien sûr, ou à Klossowski.

  • livre : This is not a love song

    "This is not a love song" est un livre qui aborde des thèmes universels comme l'amour, la famille, la trahison, le secret, l'adultère, les changements internes ou externes auxquels on doit faire face, l'amitié, la fidélité à soi, aux autres. Rien de bien original, vu sous cet angle ... Détrompez-vous, car ce livre est loin d'être conventionnel. A travers le portrait de Vincent, époux et père de famille exemplaire, il raconte comme parfois notre avenir se révèle bien différent de nos attentes, des chemins tout tracés que l'on pensait suivre. Il évoque comme les a priori ont la dent dure. Il exprime la perte des repères, les schémas dans lesquels on s'enferme, nos peurs profondes, la solitude avec laquelle nous vivons tant bien que mal.

    Ce très joli roman de Jean-Philippe Blondel transpire d'une grande sensibilité, d'idéaux abandonnés ou revus, et fait preuve d'une ironie mordante, presque trop lucide. Et puis, ce livre fait irrémédiablement réfléchir, sur la vie, sur nos choix, sur ce que nous considérons ou non comme essentiel. Si ce livre m'a interpellé, c'est justement parce que je me pose quantité de questions sur la vie que je mène en ce moment, sur ce qui me semble important, essentiel. Et je me dis que parfois il est primordial de se recentrer sur ces notions-là, sur ces questions existentielles qu'on balaie d'un revers de main régulièrement. De s'arrêter et de se demander si nous sommes bien fidèles à nos idées, à nos principes, à nos valeurs. Parce que parfois, il arrive qu'on se perde en route. Parfois on oublie l'essentiel, ou on l'adapte tant bien que mal à nos vies pour ne pas se sentir désarçonnés, en se mentant un tout petit peu à soi-même, rien qu'un peu. Parfois on a du mal à se regarder dans la glace parce qu'on se dit qu'on pourrait être quelqu'un de meilleur, finalement. Mais on ne fait pas toujours tout ce qu'il faut pour. Ou pas comme il faut. Et parfois, on est même incapables de se réjouir de ce qu'on a déjà. On veut plus, on veut mieux, on veut encore. En espérant que ça nous rendra plus heureux ...

    song.JPGMais au fond, quand je cherche, quand je me questionne, je sais bien qu'un gilet Hermine de Pashmina, aussi joli soit-il, ou un MacBook, aussi performant soit-il, ne me rendront pas foncièrement plus heureuse. Ou en tout cas seulement jusqu'à la prochaine envie, jusqu'à la prochaine "folie". Ce ne sont que des choses, pour combler des vides. Des choses qui ne nourrissent pas spirituellement. Des choses qui contentent, un cours laps de temps. Et moi, au fond, je sais bien que ce n'est pas ce que je recherche, même si parfois j'en ai l'illusion. A quoi sert de posséder ? Moi, je me nourris des rapports humains, des rencontres, des amitiés, de l'amour des miens, des sourires des autres, du plaisir de partager, d'être ensemble. Je me nourris de la simplicité d'une soirée sans chichi où le seul plaisir de se voir remplit de joie. C'est vers ça que je tends, vers ces bonheurs simples et vrais, authentiques. Evidemment, les choses que l'on achète ont aussi leur utilité. Elles font plaisir, rassurent, aident, permettent de se sentir mieux. Mais elles ne sont pas essentielles. Et c'est important de ne pas tout mélanger, de savoir quelles sont nos priorités, de déterminer ce qui fait notre véritable bonheur, et de ne pas l'oublier, surtout.

    Et quand on prend des claques comme celles données par ce livre, on se dit que ça ne fait pas de mal, au fond, que ça nous donne l'occasion d'y voir un peu plus clair, de reconsidérer certaines choses, et de se retrouver, finalement. ça nous donne la possibilité de se remettre en question, de changer, et de devenir une meilleure version de soi, tout simplement.

  • Le perroquet de Flaubert - Julian Barnes

    Je me suis rarement autant ennuyée, ce bouquin a été un vrai calvaire :) Au moins, pas de doute sur le contenu de la critique qui suit !

    flaubert.JPGL’histoire est narrée par Geoffey Braithwaite, médecin anglais à la retraite, qui dresse le portrait de Flaubert, auteur pour lequel il voue une véritable passion. Il reprend sa vie, ses aventures amoureuses, les critiques dont il a été la cible, pour expliquer l’évolution de l’œuvre de Flaubert.

    Après avoir mis près d’un mois pour le lire, je me suis baladée sur Internet pour connaître l’avis des lecteurs sur le livre. Quelle ne fût pas ma surprise quand j’ai vu que j’étais la seule à l’avoir détesté… Il y a des fois où on est contre l'opinion générale, je suis dans ce cas de figure ! Je n’aime pas trop les romans biographiques et en toute franchise, la vie de Flaubert ne m’intéresse pas du tout.

    Le livre comportait des longueurs atroces ; son seul mérite est d’avoir été en anglais, ce qui m’a permis de m’entraîner à la lecture rapide (rapide, pour en finir au plus vite) – désolée, je n’ai pas trouvé mieux comme point positif. Je n’ai rien aimé dans ce livre et il a fallu que je m’accroche pour ne pas l’abandonner

     

     

    Le perroquet de Flaubert, de Julian Barnes
    Editions Stock, coll. La Cosmopolite
    341 pages
  • Denis Lachaud, Le vrai est au coffre

    Au début, on croit à une gentille petite chronique de la nostalgie enfantine, la famille déménage dans une cité de banlieue, les vacances chez le tonton paysan, le bruit des trains qui passent.

    yyy.JPGOn remarque quand même que le petit Tom n’a pas les mêmes passions que les garçons de son âge : pendant que ceux-ci vont jouer au foot, lui préfère jouer avec les poupées de sa copine Véronique ou bien traîner, fasciné, autour de la grue de Miguel qui broie des Ford Capri et des Renault 19 sur le terrain vague d’à côté. Mais, à partir de la page 92, la gentille petite chronique tourne au drame et vire au fantastique.

    Plus d’innocence enfantine : le crime de la bêtise ordinaire. Dès lors la très originale poésie de l’écriture de Denis Lachaud se déploie dans un récit terrible et terriblement doux où l’on voit la petite Véronique, devenue championne de natation, manier l’opinel avec la même dextérité qu’elle mettait à coiffer ses poupées dans la première partie.

    Ni roman à thèses sur l’homophobie, ni simple récit autonombrilien, Le vrai est au coffre est un beau roman, tendre et violent, drôle et cruel, où l’imaginaire se substitue efficacement au réel que l’auteur, qui n’en manque pas, a eu bien raison de garder au coffre.

    Denis Lachaud, Le vrai est au coffre , Actes Sud, 2005

  • Dans la foule, fin

    Suite de la chronique du livre de Laurent Mauvignier dans la foule ;

    C’est moins dans leur destin qu’ils sont incarcérés que dans la cage des déterminations sociales et de l’enchaînement des faits : naître cadet de trois garçons dans une famille ouvrière de Liverpool, se laisser entraîner par son copain d’origine italienne, céder aux rituels familiaux après avoir tout fait pour y échapper, se laisser griser par un rêve petit-bourgeois, et pour tous, graviter autour de l’événement, de l’accident, du drame. La lucidité ne sert à rien, l’effort de dire, sans même prédire, simplement énoncer ce qui arrive, ce qui va arriver, comme si on avait déjà assisté à sa propre vie, comme à la projection d’un film.

    Chez eux, la catastrophe ne provoque pas de bouleversements, de perturbations ; elle déclenche plutôt des précipités de destins, des accélérateurs de biographie, des éternels retours ; alors même que le récit, l’enchaînement des faits, lui, continue de courir à sa vitesse, entre les lignes du temps émotionnel qui ne cesse de se décaler, de se désynchroniser du tempo fatidique, sans pourtant pouvoir jamais s’en désolidariser entièrement : l’imaginaire romanesque de Mauvignier se déploie dans l’intervalle de probabilité de l’existence et le futur est le temps que met cette vie réelle à s’insérer, patiemment, obstinément, dans la conscience douloureuse des individus. L’événement chemine dans l’histoire de chacun. La catastrophe n’est pas reprise par le chœur antique mais elle fournit, aux uns et aux autres, le thème de sa petite sonate solitaire.

    Exemple, magnifique exemple : de la page 211 à la page 223, Geoff, rentré à Liverpool le lendemain du match, se raconte, au futur, la visite qu’il va faire à Elsie, sa fiancée, comment elle viendra lui ouvrir la porte, comment ils s’embrasseront, la gêne qu’il y aura entre eux, leurs silences, leurs gestes de tendresse, la façon dont il lui parlera pendant qu’elle s’active à confectionner des scones aux figues et aux poireaux

     

  • Laurent Mauvignier, Dans la foule, Éditions de Minuit, 2006

    Laurent Mauvignier n’est pas un peintre de fresques ni de paysages grandioses avec personnages ; il fait plutôt dans le genre portrait intérieur ou soliloque durassien. Mais pour son dernier livre, Dans la foule, il a eu le courage d’écrire à la limite de son talent : le thème du livre, c’est la catastrophe du Heysel, ce stade bruxellois où, à l’occasion de je ne sais plus quelle finale, en 1985, l’acharnement des hooligans a fait céder une tribune et provoqué plusieurs dizaines de morts et centaines de blessés.

    Mais le livre de Mauvignier n’est ni un reportage ni un roman-catastrophe : c’est un ensemble de récits croisés, ou plus exactement de récits parallèles, tirant les conséquences de cet événement sur le destin ou la vie de quelques personnages, qui étaient là ou qui auraient dû s’y trouver.

    stade.JPGIl y a Geoff, le jeune anglais qui ne sait toujours pas comment il s’est soudain trouvé, parmi ses frères, dans la meute des supporters de Liverpool ; il y a Jeff et Tonino, les deux étudiants français, arrivés sans billet mais qui finiront par trouver des places à très bon marché : et encore Tana et Francesco, les tourtereaux italiens à qui leurs familles ont offert, en cadeau de mariage, le voyage et le séjour en Belgique avec des billets pour le « match du siècle » ; et enfin de jeunes bruxellois, Gabriel et Virginie.

    Laurent Mauvignier a une façon bien à lui de raconter, en employant par exemple le futur et le futur antérieur, temps par excellence de la nostalgie, qui expriment le regret anticipé de ce qui n’ pas encore eu lieu, à peine le regret d’ailleurs, la perte, une perte douce et triste, où même la colère est assourdie, puisqu’elle est rapportée dans cette espèce de faux direct. En fait, c’est une forme d’insoumission au réel, à la façon si prévisible dont il s’accomplit, sa façon si détestable aussi, l’insolence avec laquelle il s’impose à la rêverie intérieure. Qui n’est d’ailleurs, elle-même, pas complètement une rêverie, plutôt un songe désabusé, un repentir faible, une acceptation pas complètement résignée, la douceur à peine douloureuse de qui subit, avec une involontaire passivité, le monde et le cours des choses, leur côté inéluctable et qui se demande comment convertir en secrète rancune contre soi-même cette discrète altération du contact avec la réalité.

    Cette faiblesse aussi, de ces personnages qui ne se sentent jamais de taille à s’affronter eux-mêmes en héros, mais qui trouvent quand même le courage, en tout cas l’énergie, de se l’avouer, sans pitié pour eux-mêmes, sans complaisance, de décrire patiemment les désaccords, les dissonances, les ratés du couple idéal que chacun d’eux aurait pu former avec le monde, avec son époque, son pays, sa langue, sa famille, ses amours.

    Une façon sentimentale de révolte, vaine, désespérée, contre sa propre sociologie : chacun de ces personnages, posé un peu de travers sur son histoire, se regarde, sans le moindre attendrissement, interpréter, plutôt mal, le rôle auquel il ne peut échapper.

     

     

  • Le grand secret - René Barjavel

    Dans les années 50 à Paris, Jeanne, alors mariée et mère d'un enfant, vit une histoire d'amour intense avec son amant, Roland, jusqu'au jour où il va disparaître sans laisser de trace. Victime de deux tentatives de kidnapping, mise sur écoute et suivie, Jeanne sait que son cher et tendre est toujours vivant. En enquêtant, elle va se retrouver au cœur du plus gros secret de l'Histoire, qui réunit et lie, sans que personne ne le sache en ces temps de Guerre froide, les plus grands de ce monde. Roland n'est effectivement pas mort, il vit avec plusieurs centaines d'autres personnes et comme elles, il a été contaminé par un virus dont les effets sont a priori fabuleux, mais qui se révèlent très nocifs pour l'Humanité.

    Nous retrouvons ici les thèmes de prédilection de Barjavel - SF, amour, fin du monde - avec cependant une particularité que je n'ai retrouvé pour l'instant dans aucun de ses livres : la politique. Par politique, j'entends ici celle que nous connaissons tous avec Kennedy, Nehru, De Gaulle, Staline puis Khrouchtchev, la Guerre froide. Barjavel réécrit l'Histoire en impliquant les grandes figures politiques de l'après-guerre dans un secret lourd de conséquences.

    Ce genre s'appelle l'uchronie, autrement dit l'invention d'un évènement dans le passé pour modifier le cours de l'Histoire tel qu'on le connait. Si le lecteur trouve parfois ces passages un peu trop nombreux, il ne peut pas nier le génie avec lequel Barjavel les crée. Dans Le grand secret, il y a plusieurs histoires : celle de Jeanne à la recherche de Rolland, et celle des dirigeants un peu embarrassés par le fardeau que représente ce secret.

    L'histoire de Jeanne est racontée comme dans les autres romans de Barjavel : avec poésie, intensité et passion. J'aurais aimé que le récit se concentre plus sur les deux amants et leur vie que sur la politique, ces passages coupant parfois l'élan pris par le lecteur.

    Il y a également un symbole religieux évident, celui d'Adam et Eve, mais je ne peux pas vraiment donner de détails ici pour ne pas gâcher la découverte du secret :)

    J'ai beaucoup aimé ce Barjavel, qui se place après La nuit des temps mais qui reste tout de même un très bon livre.

    [par Bouh]

     

    Le grand secret, de René Barjavel
    Editions Pocket
    376 pages