Ce livre de Vacher est un des rares qui portent sur des réflexions de fin de vie : « tout à coup il me semble que presque aucun philosophe n’a écrit ses réflexions de fin de vie, comme je suis en train de le faire. » (p. 89-90).
L’auteur, qui sait à 61 ans, ses jours comptés, se regarde mourir en respectant le plus possible son parcours matérialiste et athé. Ainsi, l’urgence de créer qui est palpable répond d’abord à la nécessité de partir avec ce sentiment d’avoir tout dit, d’avoir conclut en quelque sorte sa pensée. Mais elle répond aussi à cet unique espoir de « vie » après la mort. Et c’est une œuvre fort intéressante qui survivra. Intéressante, notamment de par sa forme où l’auteur confronte des lieux communs, dialogue avec des philosophes, renouvelle les débats, fragmente ses réflexions comme si la maladie qui morcelait sa vie, morcelait aussi ses écrits. D’ailleurs, la seconde partie intitulée « Fragments autobiographiques » fut interrompue par son décès.
Vacher parle de la mort avec lucidité sans jamais tomber dans le piège du « ventriloque manipulant à son gré une marionnette sans âme » (p. 25), sans jamais faire dire n’importe quoi à cette « grande muette » qu’est la mort. Bref, sans jamais tomber dans la facilité. Il réfléchit en tout honnêteté, admet ses propres contradictions, questionnements, peurs, regrets, peines : « la seule chose qui me fasse pleurer ces temps-ci, systématiquement et à chaque fois que j’y pense, c’est la perspective de déserter celle qui aura été le grand amour de ma vie, de l’abandonner à une solitude qu’elle ne souhaite pas » (p. 33-34), mais aussi ses souhaits, comme celui de voir ce même amour recueilli par une nouvelle personne, qui vivrait très longtemps (p. 34). Ce témoignage d’amour prend tout son sens, puisqu’il s’agit du seul aveu de ce genre. En effet, c’est le penseur qui prédomine tout au long de l’ouvrage.
Mais ce livre, divisé en trois parties, ne porte pas exclusivement sur la mort. Dans « Carnet devant la mort », l’auteur réfléchit sur la mort, en plus d’exposer la conception aussi originale qu’audacieuse d’une philosophie qui devrait, plutôt que de s’en détacher, s’allier à la science et qui devrait en finir avec la « valorisation de l’obscurité ». Dans cette même partie, les dernières lignes dénoncent les conditions et situations absurdes auxquelles sont confrontés les malades québécois. Dans « Fragments autobiographiques », il retrace son propre parcours et exprime en quoi les souverainistes l’ont fait changer d’idée par rapport à l’indépendance du Québec. Vacher y présente également sa définition de l’art et de la critique d’art. Sa définition de l’art, qui comprend quatre volets, implique une étude objective d’une œuvre tout en soumettant quelques critères qui tiennent compte du jugement de valeur. Toujours audacieusement, Vacher rejette toute conception de la postmodernité, notamment parce que la religion, qui est encore très présente de nos jours, lui apparaît au cœur même des conflits entre Anciens et Modernes. Il sera d’ailleurs fort intéressant pour le lecteur de mettre en parallèle ces propos sur l’art avec la dernière partie du livre « Mon vingtième siècle Matériaux pour un projet » où il trouvera une liste d’œuvres du XXe siècle, qui ont marqué l’auteur. Dans cette liste, la quasi absence d’œuvres littéraires québécoises est notable, mais il est aussi vrai que cette liste incomplète aurait pu être étoffée s’il avait mené à terme son projet.
Une petite fin du monde questionne donc, une dernière fois, la mort, mais aussi la philosophie, le système de santé, l’art et la critique d’art, la politique québécoise avec intelligence et humilité.
Une petite fin du monde,
Laurent-Michel Vacher
Liber / 2005
197 pages