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UNIVERS LIVRES - Page 6

  • Christian Pringent : A quoi bon encore des poètes ?

    poetes.JPGUne question légitime, en ce XXIème siècle : existe-t-il encore des poètes, héritiers d’un Baudelaire ou d’un Mallarmé ? si oui, la poésie a-t-elle encore un rôle ? A quoi sert-elle donc ?

    Loin de faire un éloge seul de l’art littéraire, l’auteur expose ici sa vision des choses. Et cela commence fort « comme tout monde humain, mais plus qu’aucun autre peut-être, notre monde est un monde en manque de sens. La demande de sens y est donc d’autant plus acharnée. » Et, par quoi passerait donc cette sens-ibilité ? La poésie, en tentant de « trouver une langue » est le pilier de cette quête, mais n’amène pas forcément au sens, plutôt à la Vérité. Par ses formes, sa rhétorique, son style, elle est un condensé « d’in-signifiance », soit parce que l’éclatement des formes contemporaines renvoie à l’implosion de notre monde humain (manque de stabilité, de repères) et donc que la poésie prend forme dans l’informe (« le reflet esthétisé de cette chute [du monde] en sa déclinaison lisible »), soit parce que la poésie saisit le présent, par définition flou, incertain ; qu’il faut symboliser : la poésie prend donc ici toute sa consistance.

    Pour finir, Christian Pringent rappelle qu’« en France, on aime beaucoup la poésie qu’on ne lit pas. Comme on n’en lit presque pas, l’amour est immense ». Un appel à découvrir cet art, qui menaçant de disparaître à chaque instant, ne cesse de renaître sous des formes nouvelles.


    Christian Pringent A quoi bon encore des poètes ? P.O.L 1996, 55 pages

     

  • Les dernières volontés de sir Hawkins de Jesús del CAMPO

    sir.JPGSir Hawkins, homme qu’on devine dans la force de l’âge, s’est retiré, au bord de la mer, quelque part en Angleterre, dans l’auberge de l’Amiral Benbow qu’il a décidé de reprendre. Là, il vit avec sa gouvernante et cuisinière Mrs. Collins. Nous sommes à la fin du XVIIIe siècle et « la silhouette torve du Corse dont tout le monde parle » s’apprête à assombrir le paysage temporel. Cela n’empêche pas notre sir de s’intéresser à ce « savoir nouveau en ébullition en France, susceptible de transformer radicalement les pensées de tous les hommes ».

    C’est ainsi qu’il décide que son premier hôte sera français ; et Louis-Guillaume Brossac, rencontré à Oxford, fait son entrée dans l’auberge et accepte de donner des cours de français à notre narrateur, et de l’aider, entre autres, à « pénétrer les mystères du subjonctif, cette rareté dont la langue anglaise a su admirablement se passer ».

    Vont se croiser dans cette auberge différents hôtes qui ont tous un point en commun : ils racontent des histoires, la leur ou celle d’autres personnes. A tel point que, au fil du temps, l’auberge va acquérir une réputation de « nid de conspirateurs au service de l’imagination ». Avec ces récits - qui respectent la bonne vieille tradition orale mais qui font aussi écho à ce nouveau conte philosophique auquel notre Voltaire bien aimé est en train de donner ses lettres de noblesse -, sir Hawkins comprend que la conversation est un élément fondamental de cette modernité qui se met en place, qu’elle est l’axe crucial par lequel les hommes peuvent échanger leurs expériences et leurs points de vue, et par lequel par conséquent, la tolérance et l’ouverture d’esprit peuvent éclore. Dans la première partie, l’exemple le plus parlant - si je puis me permettre - en est peut-être le récit de l’Ecossais Alasdair McLairg, conté à ces Anglais contre lesquels il a lutté et qu’il considère encore un peu comme des êtres maléfiques. Et il a ses raisons, McLairg.

    Ne raconte-t-il pas comment l’un de ses ancêtres est mort foudroyé sur place parce qu’il avait assisté à un toast qui souhaitait longue vie au roi du pays honni ? Il a alors bien raison de s’abstenir quand ses compagnons décident de faire une fête pour l’anniversaire du roi Georges, et au moment du toast, McLairg monte dans sa chambre. Et tous ses compagnons d’approuver cette sage décision

    à suivre...

  • Neige (Kar) - Orhan Pamuk - 2002

    neige.JPGNeige est un roman hors pair, passionnant d'un bout à l'autre, un chef d’œuvre de la part d'un très grand écrivain devenu aujourd'hui incontournable et qui reçu récemment le Prix Nobel de littérature 2006. Orhan Pamuk a été défini par le Comité Nobel comme un écrivain "qui à la recherche de l'âme mélancolique de sa ville natale a trouvé de nouvelles images spirituelles pour le combat et l'entrelacement des cultures". Neige illustre parfaitement ce propos.

    Selon les propos de l'auteur, Neige, paru en Turquie en 2002, est un roman politique, mais qui va bien plus loin que cela. Orhan Pamuk lui-même avait déclaré cette forme littéraire comme démodé et se posait la question sur comment la remettre à la mode. La réponse se trouve en Neige en un récit inventif, admirablement structuré et monté faisant de ce roman une oeuvre intégrale et non artificielle voulant apporter rapidement des principes politiques aux lecteurs. Ici il ne s'agît pas d'un argument politique déguisé en fiction, mais bien d'une histoire réelle et complète d'un individu, le poète occidentalisé Ka et son expérience lorsqu'il se retrouve piégé dans une ville de province au fin fond de l'Anatolie. Le narrateur de l'histoire est un vieil ami du poète en question, qui raconte cette histoire en se basant sur des notes prises lors de ce voyage à Kars, ce qui donne un côté plus mystique au personnage, que finalement on ne connaîtra jamais réellement.

    Le héros s'appelle Ka, le livre Kar et la ville Kars, en français kar se dit neige. Trois jours se dérouleront à Kars, ville des neiges, mais tout une vie s'y écoulera pour Ka. Il verra comment les jeunes filles se suicident: en se pendant, en se tirant une balle dans la tête, en avalant des boîtes de médicaments. «Il est sûr que la cause de ces suicides réside dans cet extrême malheur de nos filles ; il n'y a pas de doute à cela, dit à Ka le préfet adjoint. Mais si le malheur était une vraie cause de suicide, la moitié des femmes en Turquie se seraient suicidées». Il assiste en direct à l'assassinat par un musulman exalté du directeur de l'école qui respecte les consignes de refuser d'enseigner aux jeunes filles voilées. Il sera impliqué dans de multiples complots, organisés par les islamistes et les républicains. Il devra faire face aux violences policières, aux injustices sociales, à une presse qui écrit ses articles à l'avance, avant même que les événements se passent, et qui se passent effectivement après tel que cela est écrit. Mais Ka écrira aussi à Kars dix-neuf poèmes. Il les écrira sans problème, sans effort, comme si les vers lui tombaient sur le papier d'une inspiration soudaine et fluide. Mais pas le moindre vers ne paraîtra dans ce roman, le narrateur n'ayant pas retrouvé les poèmes après la mort du poète.


    L'un des sujets principaux du roman de Orhan Pamuk est la description d'une Turquie en guerre interne entre une société occidentale moderne et une plus orientale : un peu à la mesure de ce que fut la révolution Française par Adolphe Thiers... «Nous autres, nous ne pouvons pas être européens ! lança un autre jeune islamiste avec un air d'orgueil. Ceux qui s'emploient à nous faire rentrer de force dans leur modèle, ils pourraient peut-être le faire à coups de tanks et de fusils, en nous liquidant tous. Mais notre âme jamais ils ne pourront la changer».

    Orhan Pamuk y parle la montée d'un islamisme intégriste et violent dans une Turquie républicaine et laïque, du nationalisme turc et ses conséquences, y évoque la question kurde en décrivant certaines injustices vécues par ceux-ci, ainsi que le génocide arménien en parlant «de la section spéciale "Massacre des Arméniens" au musée (certains touristes croient qu'il s'agit d'une exposition sur les Arméniens massacrés par les Turcs et finissent par comprendre qu'il s'agit du contraire)» et aussi lorsqu'à un moment un vieux journaliste énumère longuement «les croisades, le massacre des Juifs, des Peaux-Rouges en Amérique, les assassinats de musulmans par les Français en Algérie, quelqu'un dans la foule, brisant ce bel élan, demanda sournoisement où se trouvaient les "millions d'Arméniens de Kars et de toute l'Anatolie" ; mais l'indic qui prenait des notes, ayant pitié de lui, n'avait pas écrit sur son papier qui avait dit cela».

     

     

     

  • Deleuze - philosophie et cinéma, par Suzanne Hême de Lacotte

    deleuze.JPGL’importance du travail philosophique de Gilles Deleuze en interdit un résumé trop rapide. Nous pouvons toutefois souligner, dans l’ensemble de ses meilleurs livres de philosophie , depuis son premier livre, Empirisme et subjectivité (1953), jusqu’à la préface à L’Apocalypse de D H. Lawrence (1978), une préoccupation constante, celle d’affirmer la possibilité d’une «métaphysique en mouvement, en activité», c’est-à-dire encore de renouveler la philosophie dans le sens, nietzschéen, d’une pratique mobile, qui rappelle aussi, d’après une métaphore empruntée à l’archéologie, «nomade».


    Il ne s’agit pas de voir Deleuze en théoricien ou en historien du cinéma. Mais bien comme un homme qui prend comme champ d’investigations le cinéma. Suzanne Hême de Lacotte ne sombre donc pas dans le jugement, mais démontre dans un juste équilibre que le cinéma peut s’aborder philosophiquement, surtout lorsque l’on veut en saisir la pleine mesure. La philosophie doit cesser d’être un ravalement des différences, des singularités. Mais en même temps les singularités ne valent que dans la mesure de leur extension, de leur action, dans le champ social et la réalité physique tout entière… Le cinéma devient un terrain de jeu, un lieu d’expérimentation. Mais il ne faut pas s’arrêter là ! Il faut jouer avec lui et montrer combien nous n’avons pas compris ses mots-images et ses concepts-chocs.

    Bref, allons au cinéma et dégueulons notre pensée post-moderne !

    Auteur : Suzanne Hême de Lacotte
    Titre :
    Deleuze : philosophie et cinéma
    Editeur :
    L’Harmattan
    Collection :
    L’art en bref
    Année :
    2001
    Prix indicatif :
    11,43 €

  • Lost City Radio de Daniel ALARCÓN

    Premier roman d’un jeune auteur né en 1977, Lost City Radio est une plongée virtuose dans les conséquences indirectes d’une guerre civile.

    radio.JPGDans un pays sans nom, où les villages ont été débaptisés et portent à présent un numéro, Norma est la présentatrice vedette d’une émission de radio à succès qui donne la parole aux auditeurs à la recherche d’un disparu. Intitulée "Lost City Radio", cette émission est la lueur d’espoir de milliers de gens déracinés, détruits par dix années de guerre civile entre un gouvernement militaire qui cherche à effacer les traces du passé et une guérilla qui cherche à embrigader les habitants des villages reculés de la jungle. Lorsque Victor, un adolescent orphelin de mère qui n’a jamais connu son père, débarque à la radio avec une liste de disparus de son village numéro 1797 et qu’il demande qu’elle soit lue à l’antenne, C’est tout le passé de Norma qui remonte à la surface. Dans cette liste, en effet, figure l’un des noms de Rey, son mari, qui, membre de la guérilla, n’a jamais reparu après avoir été arrêté par les forces militaires du pays. Les trois jours que cette femme va passer avec Victor vont bouleverser sa vie. Et qu’importent les conséquences…

    On n’apprendra rien, dans cette fable politique, sur les guérillas actuellement en activité au Pérou (pays d’origine de l’auteur), en Colombie et ailleurs. Si le sujet fait indéniablement penser aux événements actuels, ce n’est pas ce qui intéresse Daniel Alarcón, qui tente de montrer les ravages que peuvent causer, au plus profond de l’être, des années de guerre civile et de dictature : effacement de l’identité, dispersion des familles, disparitions, isolement des individus, des villages, tortures et humiliations, embrigadement, etc. Pour marquer encore plus fortement ces traumatismes, l’auteur a très subtilement opté pour une structure narrative éclatée, entremêlant trois histoires à trois époques différentes : Norma et Rey, son mari ; Victor et sa mère, dans leur village perdu ; Norma et Victor à la recherche de leur passé. Il ménage enfin un certain suspens qui trouve son apothéose dans les dernières pages, d’une force incroyable, qui place le lecteur au cœur même de l’absurde. Parions que nous entendrons longtemps parler de cet écrivain qui, par ce premier roman magistral, se place d’emblée aux côtés d’un d'Hector Loaiza , d' Alan Pauls ou d’un Bolaño .

  • Eric-Emmanuel Schmitt - Ulysse from Bagdad

    bagdad.JPGComment parcourir des milliers de kilomètres lorsqu’on n’a pas un dinar se demande Saad Saad ?

    Ainsi, notre nouvel héros veut quitter son pays natal, qu’il ne reconnaît pas comme le sien, pour gagner l’Europe, terre de toutes les promesses, et plus particulièrement l’Angleterre, espace de rêves. Après avoir vécu le chaos, la privation, l’embargo américain, la faim, la guerre, la mort, avoir survécu à un attentat suicide, assisté à l’agonie de plusieurs de ses proches suite à la pénurie de médecins, Saad Saad se décide à commencer son odyssée, dans le sens inverse de celui entamé par Ulysse : lui ne cherche qu’à rentrer chez lui, Saad Saad veut le trouver, son chez-lui. Et tout recommencer, parce que lui n’a pas eu la chance de tirer un bon numéro à la loterie des naissances.

                Son voyage, qui passera par le Caire, Malte, la Sicile, et la France, tout comme celui du roi d’Ithaque, sera parcouru par maintes rencontres et aventures. Il rencontrera une bande de Lotophages fumant de l’opium, devra faire face à un Cyclope dans un centre de détention, s’obligera à braver les dangers de la mer, et rivalisera d’astuces pour échapper non pas à la volonté des Dieux, mais à celles des autorités.

                 Partant de ce postulat, qu’on a affaire si ce n’est à une réécriture de l’œuvre d’Homère, du moins à une modernisation, il ne faut pas s’attendre à trouver dans le nouveau roman d’Eric-Emmanuel Schmidt du réalisme à l’état pur.

                Ulysse from Bagdad n’est pas un essai sur la condition clandestine, même s’il en aborde toutes les thématiques : la difficulté de partir, de prendre le large, la perte des repères, la survie difficile (être prêt à tout pour empocher quelques pièces de monnaie), les horribles conditions de voyage, l’hypocrisie des autorités officielles, etc, etc… C’est d’abord un roman, humoristique et onirique, bourré de bons sentiments.

                Toutes les aventures de Saad Saad sont ponctuées d’entretiens avec le fantôme de son père, décédé en Irak à cause d’une méprise de la part des Américains. Son père, libraire, qui, sous le régime de Saddam Hussein, résistait en accumulant les livres interdits sous le régime, créant une véritable bibliothèque secrète, en mettant au parfum son fils, lui transmettant le goût de la digression. Il apparaît donc à notre héros, pour lui raconter ses grandes théories et lui prodiguer des conseils, dans des dialogues inoubliables. Ainsi, selon lui, si le Moyen-Orient a des problèmes de démocratisation, c’est forcément à cause des palmiers.

     

     

  • Le joueur d'échecs, de Stefan Zweig

    ZWEIG.JPGJe dois avouer que j’avais beaucoup entendu parler de cette œuvre de Stefan Zweig, et à ma grande honte, je ne m’y étais encore jamais plongé. Heureusement pour moi, grâce à cette nouvelle traduction du Livre de Poche, j’ai pu enfin me plonger dans ce grand classique.

    Je dois dire que je n’ai absolument pas été déçue de m’y être enfin plongée car ce fut un véritable régal. J’ai du le lire en quelques heures seulement. Stefan Zweig a véritablement l’art de nous embarquer totalement dans son histoire, de nous attacher entièrement à ses personnages, et ce malgré la folie qu’on perçoit chez ce joueur d’échecs. C’est un classique, mais ça ne devrait pas arrêter les gens à ouvrir ce livre car il se lit avec une facilité déconcertante.

    Et pourtant, le sujet n’est pas des plus faciles à traiter. La folie est un thème que j’apprécie énormément, et j’ai véritablement adoré la façon dont Stefan Zweig l’a traité, au détour du jeu d’échec, tout en subtilité, ce qui rend le thème d’autant plus fort. Les évènements que relate le joueur d’échec sont décrits avec une telle clarté qu’on croirait presque les vivre nous-mêmes, ce qui peut mettre parfois très mal à l’aise. On est happé dans cet isolement qu’a vécu le personnage, on souffre avec lui et il nous fascine totalement. Il se dégage de lui une intelligence, qui malheureusement va finir en folie, tellement profonde qu’on ne peut que s’émerveiller tout en s’attristant de ce genre d’expériences si dégradantes et humiliantes.

    Ce qui est fascinant c’est le fait que la folie et l’excellence soient si proches. C’est un fait historique qui s’est révélé vrai à maintes reprises, malheureusement, l’excellence se pare d’une certaine forme de folie, et d’une certaine forme d’isolement également. Dans le cas particulier relaté par Stefan Zweig, c’est justement l’isolement forcé et absolu qui va mener notre joueur d’échecs à l’excellence et la folie.

    C’est finalement un thème universel qu’aborde ici Stefan Zweig, et avec une plume magnifique qui nous fait vivre entièrement l’expérience de cet homme. Vous l’avez compris, ce fut pour moi un vrai coup de cœur et je ne peux que vous conseiller de lire, ou de relire ce chef d’œuvre (court) d’un auteur dont je vais certainement découvrir le reste de l’œuvre.