Tu ne saurais dire exactement pourquoi, la lecture du Commentaire de Marcelle Sauvageot t’a rappelé un autre tout petit livre, lui aussi magnifique, lui aussi écrit par une femme : Les relations d’incertitude de Anne Walter. Pourtant, rien, vraiment rien à voir : parole douloureuse d’un amour blessé dans la clairvoyance d’un être que la vie abandonne d’une part ; récit sulfureux d’une étrange liaison entre un peintre et son modèle d’autre part.
Alors d’où vient cette association ? Quelle souterraine parenté réunit à tes yeux ces deux textes si apparemment loin l’un de l’autre ? Est-ce seulement d’être brefs et écrits d’une encre, pour des raisons distinctes, à la fois brûlante et glacée ? Cette langue ascétique qui dit tout en peu de mots ? Cette franchise du texte où n’entre nulle complaisance et nulle culpabilité ? Ou, plutôt, textes dans lesquelles l’aveu des souffrances et des plaisirs assaille le lecteur sans qu’on l’y ait préparé, l’obligeant à une même et symétrique franchise à l’égard de lui-même ?
La narratrice d’Anne Walter rencontre, par l’intermédiaire de son cousin Théo, mystérieux érudit bouquiniste avec qui elle cohabite, Volodia, un peintre qui la fait poser pour ses Femmes à la toilette ou sa Jeune fille au corset. Très vite la tenue des poses exige, comme par une simple prescription technique, l’introduction d’objets dans le sexe du modèle ou l’enfermement de son corps dans d’asphyxiants corsets, comme si la beauté de l’image devait résulter des tourments infligés au corps. « Cet air un peu meurtri vous va bien » dit seulement le peintre. Puis, avec la même évidence, le peintre livre la jeune femme aux désirs d’hommes convoqués exprès, brutaux, laids, expéditifs.
Attachée, battue, violée, la jeune fille doute d’elle-même : « Victime ou complice ? N’ai-je pas aimé la secrète volupté ? » se demande-t-elle. De jour en jour, sans réelle contrainte, elle revient à l’atelier, au supplice, dont les raffinements ou les excès la mettent en péril. Volodia, présent, ne la touche pas, mais il lui tient la main, sans compassion, pendant qu’elle est violée, déchirée, transpercée.
La formule de cette passion, la narratrice la découvrira, non pas chez Sade, comme on s’y serait attendu, mais chez Fénelon, dans la théorie du pur amour : « On se livre toute, on est piétinée, rompue. On est dévorée de zèle, on défaille, on s’humilie, on craint le courroux du Maître et son indifférence nous ferait périr. ». Texte étrangement paisible, Les relations d’incertitude transmet au lecteur le mystère de ces amours terribles et magnifiques. On pense à Balthus, bien sûr, ou à Klossowski.