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Neige (Kar) - Orhan Pamuk - 2002

neige.JPGNeige est un roman hors pair, passionnant d'un bout à l'autre, un chef d’œuvre de la part d'un très grand écrivain devenu aujourd'hui incontournable et qui reçu récemment le Prix Nobel de littérature 2006. Orhan Pamuk a été défini par le Comité Nobel comme un écrivain "qui à la recherche de l'âme mélancolique de sa ville natale a trouvé de nouvelles images spirituelles pour le combat et l'entrelacement des cultures". Neige illustre parfaitement ce propos.

Selon les propos de l'auteur, Neige, paru en Turquie en 2002, est un roman politique, mais qui va bien plus loin que cela. Orhan Pamuk lui-même avait déclaré cette forme littéraire comme démodé et se posait la question sur comment la remettre à la mode. La réponse se trouve en Neige en un récit inventif, admirablement structuré et monté faisant de ce roman une oeuvre intégrale et non artificielle voulant apporter rapidement des principes politiques aux lecteurs. Ici il ne s'agît pas d'un argument politique déguisé en fiction, mais bien d'une histoire réelle et complète d'un individu, le poète occidentalisé Ka et son expérience lorsqu'il se retrouve piégé dans une ville de province au fin fond de l'Anatolie. Le narrateur de l'histoire est un vieil ami du poète en question, qui raconte cette histoire en se basant sur des notes prises lors de ce voyage à Kars, ce qui donne un côté plus mystique au personnage, que finalement on ne connaîtra jamais réellement.

Le héros s'appelle Ka, le livre Kar et la ville Kars, en français kar se dit neige. Trois jours se dérouleront à Kars, ville des neiges, mais tout une vie s'y écoulera pour Ka. Il verra comment les jeunes filles se suicident: en se pendant, en se tirant une balle dans la tête, en avalant des boîtes de médicaments. «Il est sûr que la cause de ces suicides réside dans cet extrême malheur de nos filles ; il n'y a pas de doute à cela, dit à Ka le préfet adjoint. Mais si le malheur était une vraie cause de suicide, la moitié des femmes en Turquie se seraient suicidées». Il assiste en direct à l'assassinat par un musulman exalté du directeur de l'école qui respecte les consignes de refuser d'enseigner aux jeunes filles voilées. Il sera impliqué dans de multiples complots, organisés par les islamistes et les républicains. Il devra faire face aux violences policières, aux injustices sociales, à une presse qui écrit ses articles à l'avance, avant même que les événements se passent, et qui se passent effectivement après tel que cela est écrit. Mais Ka écrira aussi à Kars dix-neuf poèmes. Il les écrira sans problème, sans effort, comme si les vers lui tombaient sur le papier d'une inspiration soudaine et fluide. Mais pas le moindre vers ne paraîtra dans ce roman, le narrateur n'ayant pas retrouvé les poèmes après la mort du poète.


L'un des sujets principaux du roman de Orhan Pamuk est la description d'une Turquie en guerre interne entre une société occidentale moderne et une plus orientale : un peu à la mesure de ce que fut la révolution Française par Adolphe Thiers... «Nous autres, nous ne pouvons pas être européens ! lança un autre jeune islamiste avec un air d'orgueil. Ceux qui s'emploient à nous faire rentrer de force dans leur modèle, ils pourraient peut-être le faire à coups de tanks et de fusils, en nous liquidant tous. Mais notre âme jamais ils ne pourront la changer».

Orhan Pamuk y parle la montée d'un islamisme intégriste et violent dans une Turquie républicaine et laïque, du nationalisme turc et ses conséquences, y évoque la question kurde en décrivant certaines injustices vécues par ceux-ci, ainsi que le génocide arménien en parlant «de la section spéciale "Massacre des Arméniens" au musée (certains touristes croient qu'il s'agit d'une exposition sur les Arméniens massacrés par les Turcs et finissent par comprendre qu'il s'agit du contraire)» et aussi lorsqu'à un moment un vieux journaliste énumère longuement «les croisades, le massacre des Juifs, des Peaux-Rouges en Amérique, les assassinats de musulmans par les Français en Algérie, quelqu'un dans la foule, brisant ce bel élan, demanda sournoisement où se trouvaient les "millions d'Arméniens de Kars et de toute l'Anatolie" ; mais l'indic qui prenait des notes, ayant pitié de lui, n'avait pas écrit sur son papier qui avait dit cela».

 

 

 

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