Sir Hawkins, homme qu’on devine dans la force de l’âge, s’est retiré, au bord de la mer, quelque part en Angleterre, dans l’auberge de l’Amiral Benbow qu’il a décidé de reprendre. Là, il vit avec sa gouvernante et cuisinière Mrs. Collins. Nous sommes à la fin du XVIIIe siècle et « la silhouette torve du Corse dont tout le monde parle » s’apprête à assombrir le paysage temporel. Cela n’empêche pas notre sir de s’intéresser à ce « savoir nouveau en ébullition en France, susceptible de transformer radicalement les pensées de tous les hommes ».
C’est ainsi qu’il décide que son premier hôte sera français ; et Louis-Guillaume Brossac, rencontré à Oxford, fait son entrée dans l’auberge et accepte de donner des cours de français à notre narrateur, et de l’aider, entre autres, à « pénétrer les mystères du subjonctif, cette rareté dont la langue anglaise a su admirablement se passer ».
Vont se croiser dans cette auberge différents hôtes qui ont tous un point en commun : ils racontent des histoires, la leur ou celle d’autres personnes. A tel point que, au fil du temps, l’auberge va acquérir une réputation de « nid de conspirateurs au service de l’imagination ». Avec ces récits - qui respectent la bonne vieille tradition orale mais qui font aussi écho à ce nouveau conte philosophique auquel notre Voltaire bien aimé est en train de donner ses lettres de noblesse -, sir Hawkins comprend que la conversation est un élément fondamental de cette modernité qui se met en place, qu’elle est l’axe crucial par lequel les hommes peuvent échanger leurs expériences et leurs points de vue, et par lequel par conséquent, la tolérance et l’ouverture d’esprit peuvent éclore. Dans la première partie, l’exemple le plus parlant - si je puis me permettre - en est peut-être le récit de l’Ecossais Alasdair McLairg, conté à ces Anglais contre lesquels il a lutté et qu’il considère encore un peu comme des êtres maléfiques. Et il a ses raisons, McLairg.
Ne raconte-t-il pas comment l’un de ses ancêtres est mort foudroyé sur place parce qu’il avait assisté à un toast qui souhaitait longue vie au roi du pays honni ? Il a alors bien raison de s’abstenir quand ses compagnons décident de faire une fête pour l’anniversaire du roi Georges, et au moment du toast, McLairg monte dans sa chambre. Et tous ses compagnons d’approuver cette sage décision
à suivre...