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Laurent Mauvignier, Dans la foule, Éditions de Minuit, 2006

Laurent Mauvignier n’est pas un peintre de fresques ni de paysages grandioses avec personnages ; il fait plutôt dans le genre portrait intérieur ou soliloque durassien. Mais pour son dernier livre, Dans la foule, il a eu le courage d’écrire à la limite de son talent : le thème du livre, c’est la catastrophe du Heysel, ce stade bruxellois où, à l’occasion de je ne sais plus quelle finale, en 1985, l’acharnement des hooligans a fait céder une tribune et provoqué plusieurs dizaines de morts et centaines de blessés.

Mais le livre de Mauvignier n’est ni un reportage ni un roman-catastrophe : c’est un ensemble de récits croisés, ou plus exactement de récits parallèles, tirant les conséquences de cet événement sur le destin ou la vie de quelques personnages, qui étaient là ou qui auraient dû s’y trouver.

stade.JPGIl y a Geoff, le jeune anglais qui ne sait toujours pas comment il s’est soudain trouvé, parmi ses frères, dans la meute des supporters de Liverpool ; il y a Jeff et Tonino, les deux étudiants français, arrivés sans billet mais qui finiront par trouver des places à très bon marché : et encore Tana et Francesco, les tourtereaux italiens à qui leurs familles ont offert, en cadeau de mariage, le voyage et le séjour en Belgique avec des billets pour le « match du siècle » ; et enfin de jeunes bruxellois, Gabriel et Virginie.

Laurent Mauvignier a une façon bien à lui de raconter, en employant par exemple le futur et le futur antérieur, temps par excellence de la nostalgie, qui expriment le regret anticipé de ce qui n’ pas encore eu lieu, à peine le regret d’ailleurs, la perte, une perte douce et triste, où même la colère est assourdie, puisqu’elle est rapportée dans cette espèce de faux direct. En fait, c’est une forme d’insoumission au réel, à la façon si prévisible dont il s’accomplit, sa façon si détestable aussi, l’insolence avec laquelle il s’impose à la rêverie intérieure. Qui n’est d’ailleurs, elle-même, pas complètement une rêverie, plutôt un songe désabusé, un repentir faible, une acceptation pas complètement résignée, la douceur à peine douloureuse de qui subit, avec une involontaire passivité, le monde et le cours des choses, leur côté inéluctable et qui se demande comment convertir en secrète rancune contre soi-même cette discrète altération du contact avec la réalité.

Cette faiblesse aussi, de ces personnages qui ne se sentent jamais de taille à s’affronter eux-mêmes en héros, mais qui trouvent quand même le courage, en tout cas l’énergie, de se l’avouer, sans pitié pour eux-mêmes, sans complaisance, de décrire patiemment les désaccords, les dissonances, les ratés du couple idéal que chacun d’eux aurait pu former avec le monde, avec son époque, son pays, sa langue, sa famille, ses amours.

Une façon sentimentale de révolte, vaine, désespérée, contre sa propre sociologie : chacun de ces personnages, posé un peu de travers sur son histoire, se regarde, sans le moindre attendrissement, interpréter, plutôt mal, le rôle auquel il ne peut échapper.

 

 

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