Seul dans le noir, je tourne et retourne le monde dans ma tête tout en m’efforçant de venir à bout d’une insomnie, une de plus, une nuit blanche de plus dans le grand désert américain.
C’est ainsi que débute l’histoire d’August Brill, septuagénaire bloqué dans son lit par une jambe brisée, qu’on a bien failli amputé. Veuf depuis près d’un an et infirme, il est retourné vivre avec sa fille et sa petite-fille. Comme il le dit lui-même, c’est la maison des âmes brisées. August Brill ne se remet pas du décès de l’amour de sa vie, sa fille Miriam n’arrive pas à oublier un divorce déjà vieux de cinq ans et Katya, la petite-fille, a arrêté d’être heureuse le jour où son fiancé a été assassiné en Irak.
La maisonnée ne respire donc pas le bonheur, même si l’amour que se portent ses membres saute aux yeux du lecteurs. Mais une fois la tombée de la nuit, Brill, insomniaque, fait face à sa propre vie. Tout resurgit, tout refait surface : ses trahisons, ses remords, son passé, le décès de sa femme. Tout revient en pleine figure comme un boomerang.
Seul dans le noir, pendant de longues heures, il invente des histoires dans sa tête pour passer le temps et surtout, pour ne plus penser à rien. L’histoire qu’il raconte cette fois-ci est celle d’un homme plongé dans un monde parallèle où le 11 septembre et la guerre en Irak n’ont jamais eu lieu, mais où une guerre civile aux États-Unis fait rage. Fiction et réalité se mélangent dans la tête de Brill, qui attend toujours l’aube pour interrompre son récit.
Bien plus qu’un roman sur les remords d’une vie, Paul Auster signe là un livre engagé sur le rôle de l’être humain dans les guerres contemporaines. Dans le récit que se fait Brill, le personnage se voit confier la tache de mettre fin à la guerre en tuant le seul homme à l’origine de ce mal ; s’il n’obéit pas, il sera lui-même tué, car il est lui aussi responsable de cette guerre à sa manière. Le message est fort : tous responsables.
Lorsque la nuit s’arrête, le récit se met en pause, et Brill fait face à ses démons. L’écrivain, par sa simple écriture, peint une souffrance unique, celle de l’âme. Des regrets qui rongent, qui sont inutiles car ils ne changeront jamais le cours de l’histoire. A quoi bon ressasser le passé ? Pourtant, irrémédiablement, il revient dans la tête de Brill.
Magnifiquement bien écrit, Paul Auster suggère tout en nuance cet état dépressif qui émeut le lecteur. Toujours en sous-entendus, l’écrivain fait du crépuscule de la vie un terreau à la nostalgie et à la tristesse sans jamais tomber dans le pathos.
Un superbe roman de Paul Auster, que je conseille à toutes et à tous.