Suite de la chronique sur Les dernières volontés de sir Hawkins de Jesús del CAMPO
La deuxième partie est placée sous le signe de l’amour et le lien avec le fil narratif est le temps, ce temps qui dévore les sentiments en éloignant les uns des autres ceux qui s’aiment. Mais source du mal, le temps en est aussi le remède : « Et la vie suivit son cours, sans la moindre intention de m’attendre. », affirme le narrateur. Sir Hawkins se console de la perte de ce qu’il considère comme son grand amour dans l’ivresse de « petites amourettes » jusqu’à commettre plusieurs impairs qui lui font comprendre qu’il a encore beaucoup à apprendre de ce sentiment qui le ronge. Mais le temps n’est pas le seul remède au mal d’amour, il y a aussi le voyage, comme celui qu’entreprend une jeune aristocrate bourguignonne dont le fiancé a été tué lors d’une révolte d’esclaves en Martinique. Puis il arrive un moment où Béatrice-Charlotte Beaumont de Faubourg comprend que pleurer un être mort, aussi cher fût-il, n’est rien au regard d’aimer les vivants. Et elle fait part de ses réflexions à son hôte… C’est ainsi que la boucle est bouclée et que l’amour devient une des formes d’apprentissage de vie, tout comme la lecture, tout comme ces récits que les hôtes continuent de se raconter pour essayer de comprendre le monde qui les entoure, ce monde en mue de la fin du XVIIIe siècle.
L’amour reste présent dans la troisième partie puisque, n’est-ce pas, apprendre à vivre est aussi important que d’apprendre à aimer. Toutefois, dans cette dernière partie, domine un sentiment de vide, ou plutôt une certaine forme de détachement. Tout d’abord, l’auberge va peu à peu se vider de ses hôtes, et seul Geoffrey Anderson restera, même s’il finira par partir lui aussi, à sa manière. En fait, dans cette dernière partie de ses mémoires, sir Hawkins saisit lentement le but caché de ces histoires racontées et ajoutées ainsi au patrimoine commun de l’humanité – n’oublie pas lecteur que, grâce à ces mémoires, ces histoires traversent le temps pour arriver jusqu’à toi. Elles participent de la transmission d’un secret, d’une « formule secrète », et procurent à sir Hawkins – et donc à toi aussi, lecteur – « la sensation que le mystère est une science déchiffrable ». Et pour comprendre en quoi réside cette formule, il faut lire le livre.
La prose de sir Hawkins est riche, en clair-obscur. Elle fouille les mots et les phrases comme les histoires racontées fouillent l’âme humaine. C’est aussi une prose contemplative et picturale qui laisse une immense place au rêve : « Ici, l’activité primordiale est simplement d’être, comme si la contemplation de ce qui nous entoure était une activité en soi, et plus intense que les autres. Comme si le paysage qui nous entoure avait besoin de nous pour être complet, et nous de lui ». Et c’est tout le mérite de l’auteur d’avoir su faire revivre cette prose dix-huitiémiste dont l’ironie - ici teintée d’humour anglais, et donc double puisque c’est un Espagnol qui écrit - n’est pas le moindre attrait.
Quant à ces aventures que sir Hawkins a vécues dans son adolescence et qu’il affirme à plusieurs reprises vouloir oublier - que c’est étrange, cela rappelle un certain village de la Manche qui provoqua en son temps un identique désir d’amnésie ; curieuse chose que le souvenir -, faites appel à vos réminiscences de lecture d’enfant.
Les dernières volontés de sir Hawkins de Jesús del CAMPO, José Corti, 2005 (2002 pour l’édition originale), 225 pages